Règle n°1 : on parle encore de Fight Club

Brad Pitt et Edward Norton dans Fight Club de David Fincher (1999)

25 ans plus tard : pourquoi Fight Club frappe encore

Un quart de siècle s’est écoulé depuis la sortie du brutal Fight Club. Ambiance décadente et fin de siècle, hymne à la violence, à l’anarchisme, au masculinisme, au nihilisme. Aujourd’hui comme à l’époque, le film ne fait pas l’unanimité.

Mais les œuvres véritablement accomplies ne partagent-elles pas toutes un tel destin ? Ne sont-elles pas toutes ainsi disloquées, écartelées par des avis riches parce que divergents ? 

Écrasé par la routine moderne

Fight Club retrace l’histoire d’un trentenaire cogné au sang par la vie, un insomniaque torturé, un célibataire gringalet, un insatisfait, un type paumé dans sa propre existence et qui va s’attaquer à la société qu’il prend pour responsable de sa déplorable situation. Edward Norton incarne ce profond désillusionné, symbole et emblème de toute une infinie multitude de “comme lui”, un écrabouillé de la vie, un asthmatique existentiel dont les aspirations imprononcées bloque les bronches.

Quotidiennement, il boit son petit café matinal minable pour se réveiller après une longue nuit d’insomnie, s’enfile sa tartine et sa chemise blanche jusqu’au dernier bouton, part au boulot, colle ses fesses sur sa chaise de bureau et entame une autre journée oiseuse et interminable. Mais dans la fadeur de sa vie, dans les cercles de thérapie de groupe qu’il fréquente assidument tous les soirs, il a la rumination violente. Et bientôt tout remonte à la surface. Boum… éruption grossière d’une frustration emmagasinée et frelatée, fruit d’un certain “tout ça, tout ça là… ce n’est pas ce que j’espérais ..! “.

Tyler Norden : le glamour anarchique

C’est la rencontre du radical Tyler Norden (Brad Pitt) qui sera l’élément déclencheur de sa mutinerie. Tyler est tout ce que le narrateur aspire à être : concrètement, il n’en a rien à foutre de rien, il arrive à mettre en mots - de façon très poétique - les états d’âmes larvés de Norton, à savoir “on en a vraiment plein le cul” et va tendrement finir par l’initier à la science subtile et raffinée des uppercuts au menton et des bras d’honneur au monde entier.

Et il faut dire, à la décharge du narrateur, que le charisme de Brad Pitt est tel qu’à l’instar du personnage de Norton, on en est tout subjugués, et comme portés à le suivre dans les tortueux chemins de l’anarchisme.

C’est symboliser là, à merveille, le côté profondément fascinant et dangereusement attractif de tels penchants destructeurs. 

Une révolte imprécise et instinctive

Le narrateur (Edward Norton) engage donc une lutte féroce contre le monde, - donc contre lui-même - sur fond de critique du capitalisme, de la société de consommation , de la féminisation des mœurs et de l’impossibilité pour le personnage de s’orienter et de trouver sa place dans un monde qu’il considère dégénéré. Un constat né non d’une contradiction profonde, pensée et pesée, mûrie et systématique, mais comme par instinct, par ressentiment spontané et ingénu de ne pas faire partie des colons de l’heureuse rive du monde.

Consternation donc, envie également, jalousie sûrement.  

Une oeuvre qui questionne plus qu’elle n’enseigne

Les attaques de la critique contre le film portent notamment sur sa morale hasardeuse, sa violence tapageuse et sa noirceur, mais rappelons que jamais le réalisateur ne se pavane fièrement avec un T-Shirt à l’effigie du personnage : David Fincher montre plutôt une détresse qui n’est pas exclusive au héros, mais n’encourage jamais ses actes et, peut-être même, les dénonce. En passant, Fincher soulève la délicate question que voici : est-ce le rôle d’une oeuvre d’être morale ? Ou encore : est-ce qu’une oeuvre immorale engendre des comportements immoraux, ou ne vient-elle qu’activer des prédispositions immorales latentes, relatives à une personnalité évoluant dans une société donnée ?

Vaste sujet.

Quoiqu’il en soit, si Fight Club a tant marqué, aujourd’hui comme hier, c’est qu’il a rencontré un écho retentissant auprès de générations qui se cherchent mais ne se trouvent pas. Au fond, Fight Club n’est rien d’autre que le récit d’un passage à l’acte. C’est le récit de l’écoute trop méticuleuse des velléités de révolte qui sourdent en nous, de cette petite voix parfois séduisante, - quoique jamais prise au sérieux - qui nous intime, quand tout va mal, de plonger définitivement au fond d’eaux corrompues ou de crier au monde entier d’aller se faire foutre ou encore d’asséner, tout jubilant, un direct du droit dans le nez rubicond et franchement laid d’un patron exécrable.

C’est ça, Fight Club, un aperçu de ce qui arrive quand on fournit un mégaphone aux pulsions habituellement inaudibles.

Le film tel qu’il est permet à David Fincher de s’asseoir gracieusement en équilibre sur deux chaises : dire que la critique formulée par son narrateur est légitime, mais pas les moyens employés pour lutter contre la société aborrhée. Autrement dit : c’est vrai mais c’est pas bien !

Et ils finirent heureux avec beaucoup d’enfants

Finalement, ce qui en fait un grand film (à mon sens), c’est qu’il jouit des bienfaits et des honneurs du revisionnage : un sens différent déniché à chaque fois, en fonction aussi du niveau de maturité pris entre chaque, voilà la piste sûre d’une oeuvre réussie.

Réussie, c’est à dire pérenne.

Au-delà de ça, un point du film que j’ai trouvé marquant, pourtant peu relevé voire sous-estimé, concerne peut être une des réponses proposées par David Fincher, symbolisée par la main d’Edward Norton glissée dans celle d’Elena Bonham Carter : l’amour, très discret, qui sous-tend le récit tout du long, l’amour qui soutient le héros tout du long, l’amour dernière image du film, - et la plus importante ?

Who knows ?

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