Prendre de l’altitude avec Là-Haut
L’aventure d’une vie
Carl, vieux schnock aigri aux os qui craquent et au nez qui coule, se retrouve soudain contraint de céder sa maison à un promoteur immobilier impitoyable. Revanchard, il a l’idée peu recommandable d’arracher sa maison du sol et de la faire s’envoler grâce à d’innombrables ballons gonflables.
Tout ça en vue de garder, bien sûr, sa chère maison, siège de ses souvenirs, et réaliser un vieux rêve inassouvi avec sa défunte femme : déposer leur maison auprès des faramineuses Chutes du Paradis.
Une épopée haute en couleurs, qui rassemblera autour de Carl une équipe assez improbable : Russell, petit scout attachant un tantinet maladroit, Kevin l’oiseau légendaire pourchassé par l’antagoniste du film, et Doug, un chien qui parle grâce à un collier électronique, qui ne demande qu’à être aimé (quoique parfois sérieusement inquiétant…!).
Ensemble, à leur manière, ils inculqueront à Carl une belle leçon : desserrer la prise d’un passé regretté, et se laisser aller au vent. Merci Là-Haut, ça vaut le coup d’essayer.
Rêver un peu
Un moment aérien, un bon film que Là-Haut, en ce qu’on n’éteint pas l’écran de la télévision tout de suite à l’arrivée du générique de fin. Loin de là. On reste encore un peu, l’air idiot, à regarder dans le vide, toujours émotionnellement impliqué. Car c’est un film qui, comme souvent chez Pixar, nous bouscule, bien que le message ne soit pas particulièrement original, ni même profond.
Dans sa construction, il se déploie comme un récit de vie : on voit Carl jeune, moins jeune, adulte puis vieux. L’originalité du film se situe dans le fait qu’on s’attarde sur la période où Carl est âgé, comme une façon de souligner que la vie ne s’arrête pas une fois passé un certain âge, et que l’histoire est toujours digne d’être contée. On ne peut que louer la polychromie, l’univers joyeusement bariolé du film, qui offre un contraste assez marqué avec la sérieuse mélancolie qui s’en dégage, et même à sa poésie.
À mon avis, le charme particulier de Là-Haut tient du fait que Pete Docter n’offre le rôle du héros qui doit accomplir son rêve non plus à un enfant, qui a toute sa vie pour le réaliser, mais à une personne âgée, qui a vécu, qui en a vu et qui n’est pas encore vaincu.
Veuf, ronchon, le dos ployé sous le poids des années, harcelé de rhumatismes, Carl porte néanmoins un rêve en lui. Et les rêves, ça fait rêver. On s’identifie, on se superpose plus volontiers à un héros porteur d’un rêve ; partagé qui plus est par sa femme. Loin d’une mièvrerie lourdaude, l’âge du héros rend le film plus mature et parle à toutes les générations.
Message simple, un peu banal, mais joliment dit : il n’y a pas d’âge pour rêver, ni pour réaliser ses rêves.
Rêver un peu trop ?
Mais le message que Là-Haut traine aussi avec lui, c’est que parfois, le rêve peut envoiler la vie elle-même. Il peut devenir une obsession, un sombre tunnel, dont on n’aperçoit la lumière lointaine et innaccessible qu’au bout du bout. Et dans ce tunnel, on ne voit rien de ce qui est autour. Carl a fait les frais de cette obnubilation maladive. Pour lui, sa vie avait été un échec, puisque le vieux rêve partagé avec sa femme restait inachevé et au début du film, on le voit baigner dans des mares de regret.
C’est Ellie qui lui rappellera que leur véritable rêve, cela avait été leur aventure à eux deux, leur vie soudée d’amour, complète, parfaite. Les Chutes du Paradis n’étaient, pour ainsi dire, que du contenu de vie excédentaire, anecdotique, la cerise contingente d’une vie accomplie.
Rêver trop fort parfois nous égare, le risque étant de vivre à moitié, de tout miser sur un rêve qui, d’ailleurs, ne nous comblera peut-être pas.
Ceux qui s’embarquent dans le train du rêve regardent passer leur vie à travers la vitre, sans être certains que ce train les mènera à destination.
Ellie nous conseille de sortir à la prochaine station, et de marcher. D’une pierre deux coups.
Éloge de la simplicité
En sélectionnant l’atypique Carl pour jouer le rôle de héros, Là-Haut souffle au loin les clichés et ose mettre sous les projecteurs la vie douce, banale, chaleureuse de Carl, personnalisation de Monsieur tout le monde. Une vie simple qui, comme il le comprendra, aura été sa véritable aventure, auprès de sa femme Ellie.
Cette vie doucereuse continuera à la fin du film auprès de Russell, où quelques clichés nous les dévoile, sourires aux lèvres, à déguster une glace sur le trottoir : belle vie fardée des paillettes de la simplicité, exubérance poétique.
Lâcher du lest
Les paragraphes s’accumulent. Là-Haut est riche de leçons. Concernant le toit sur nos têtes aussi. Le vieux Carl est plus que réticent à claquer la porte de la sienne, repère de toute sa vie, construite par ses soins et ceux d’Ellie. Une maison coulée dans le moule de leur amour. Un lieu chaleureux, réconfortant, siège de toute une vie.
Mais Là-Haut nous montre qu’abandonner les clés de notre maison ou la laisser flotter parmi les nuages, portée par des ballons, ce n’est pas passer à autre chose ni faire table rase et oublier tout ce qui a été.
Au contraire, l’épopée de Carl illustre le fait que quitter un foyer qui a été notre vie pour un temps, c’est l’emmener avec soi, c’est hériter dans son cœur de toutes les réminiscences du lieu. Alors oui, une maison, c’est plus qu’un toit sur nos têtes, mais à la fois ce n’est qu’une bicoque, car le vrai foyer est posé là où vivent ceux qu’on aime profondément, et qui nous aiment en retour.
Et c’est celui-ci qui compte vraiment.
Se désenclaver de nos attaches matérielles ! Là-Haut est en ce sens un panégyrique assez éloquent de la liberté, mettant en scène un senior qui ose se dépoussiérer et qui prend le pari de se laisser porter, au gré du vent, quittant une vie laborieuse pour une aventure unique en pleine nature.
Pour chipoter
Si les dix premières minutes sont un véritable film dans le film, offrant une rare poésie, la suite paraît un peu pâtir d’un tel départ, et souffre de quelques longueurs. De même, si globalement l’équilibre est maintenu entre le ton sérieux voire mélancolique, et celui comique voire décalé, certaines séquences dérapent vraiment vers des extravagances très (trop) burlesques.
Regrettable certes, les films qui démarrent fort de la sorte s’essoufflent souvent par la suite. Les ballons de Là-Haut qui se dégonflent à mesure que le film avance n’enlèvent cependant rien à son charme.
Bref, Là-Haut, globalement marquant, tant par ses images inoubliables que par sa musique qui, à elle seule, semble dévoiler l’essence même du film : des rires, des larmes, la joie d’exister, la joie d’avoir, la tristesse de perdre.
Si ce film arrive à chatouiller le cœur des grands comme des petits, c’est sans doute parce qu’il caresse la vie elle-même.
Gonflé à l’hélium, je dirais que ce film est une belle invitation pour nous autres, lourdauds, de vivre un peu plus sereins, un peu plus légers.
Vivre plus léger, surtout quand on rêve trop lourd.